Pratique de la Méditation Vipassana
"La méditation est un outil, une occasion de s'asseoir pour s'étudier de près, apaiser l'esprit et ouvrir le cœur."
Ajahn Chah
Quand le corps est apaisé, l’esprit se tranquillise,
Quand l’esprit est tranquille, le corps se détend,
"Alors se révèle notre centre, établi en lui-même" (Yoga- Sutras, I.3)
La méditation est devenue un phénomène de mode alors qu'elle est très ancienne, bien antérieure au Bouddha (environ 450 avant J.C.). A l'instar du yoga, elle avait une finalité spirituelle.
De nos jours, on la nomme "pleine conscience" ou "pleine présence". Elle suscite de l'attrait pour ses effets de calme, d'apaisement, de sérénité, alors qu'à l'origine, ils n'étaient considérés, à juste titre, que comme une conséquence de la pratique et non son but.
En fait, il s'agit en méditation d'être "simplement" présent à l'instant qui passe. Pourtant, l'expérience montre que ce n'est pas si "simple".
Comme l'apprentissage d'une langue ou d'un instrument, la méditation se pratique sur le long terme et demande de la patience. Les bouddhistes Zen en parlent même comme de « la voie du guerrier ».
C'est un chemin qui vaut la peine d'être parcouru.
"Sans attente, sans rejet...
Sans espoir, sans peur"
Commencez là où vous êtes...
Introduction à Vipassana
Vipassana n'est pas une technique de méditation de plus à acquérir. Ce n'est pas quelque chose à faire pour réaliser ou atteindre quelque chose. Vipassana, comme toute méditation au sens bouddhiste, n'est pas un acte mais plutôt un état.
Plutôt que le terme méditation, le mot pali bhavana est plus adapté. On parle de Samatha bhavana, Vipassana bhavana ou Metta bhavana. Il s'agit de l'entraînement de l'esprit. On l'entraîne ainsi au calme et à la concentration de Samatha, à la vision pénétrante de Vipassana ou à Metta (la bienveillance). Bhavana, c'est aussi l'attitude du jardinier ou de l'agriculteur. Une fois la graine plantée, il faut cultiver et savoir attendre. Tirer sur la plante ne la fera pas mieux pousser, mais au contraire risque de la tuer. Il faut observer et regarder croître ce qui pousse.
Samatha et Vipassana
« Soyez votre île, votre refuge »
Samatha et Vipassana sont indissociables. Samatha est la bougie, Vipassana la flamme. Il est peu intéressant d'avoir l'un sans l'autre.
Quand la flamme est posée sur la bougie, la stabilité s'installe et la lumière se fait
SAMATHA
Est un terme pali qui a pour racine un mot qui signifie le calme. Pratiquer Samatha permet de tranquilliser, de poser l’esprit. On parle de fixer l’esprit, ce singe agité qui court d’une fenêtre à l’autre de votre demeure intérieure pour s’intéresser à tout ce qui passe dehors et aussi dedans. Samatha est lié à la concentration. La respiration est le point de focalisation le plus souvent évoqué (décrit notamment dans l'anapanasati sutta). Mais d’autres supports peuvent être utilisés telles que la sensation sur le coussin, les sensations dans les mains, les mouvements abdominaux… Ces « localisations » seront des points d’ancrage où faire revenir l’esprit après qu’il s'est évadé, voire perdu. Et le retour à l’ancrage se fera toujours sans jugement, juste un constat de retour vers le calme.
Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise méditation, il n’y a pas de jugement à porter sur sa propre pratique, il y a seulement la présence ou l’absence à l’instant
Et petit à petit, avec de la patience, le singe viendra se poser sur vos genoux et préférera votre tranquillité et la douceur en vous, d’abord un peu, puis plus souvent et plus longtemps.
Les 4 fondements de l'attention sur lesquels ramener ou fixer son esprit pendant samatha – vipassana sont décrits dans le mahasatipatthana sutta :
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l'attention au corps : toutes les sensations physiques ressenties ainsi que la méditation sur certaines des parties du corps,
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l'attention aux sensations : agréables, désagréables ou ni agréables – ni désagréables (parfois traduites par neutres). La sensation n'est pas contrôlable, elle est naturelle et instinctive, elle apparaît avant les concepts qui vont suivre sur ce qui est généré par la sensation,
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l'attention aux perceptions : les 5 sens, le chaud, le froid, la douleur…
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l'attention aux phénomènes (dhammas) : les 5 agrégats, les 5 empêchements, les 7 facteurs d'éveil, les 4 incommensurables…
Il faut ainsi comprendre que tout ceci ne nécessite pas d'être en assise uniquement. Le mahasatipatthana sutta, entre autres, précise que l'on peut méditer assis, debout, en marchant ou allongé. Vipassana peut se pratiquer à tout moment… avec un peu d'entraînement.
Samatha pourrait être comparé au 1er étage d'une maison et Vipassana au 2ème. Prenez le temps de passer par le 1er, il est en fait inévitable, n’essayez pas d’atteindre le 2ème directement.
VIPASSANA
Signifie vision juste ou tranchante ou pénétrante. C'est voir les choses telles qu'elles sont, au-delà des concepts. Vipassana conduit à une "vision", à une perception directe des phénomènes (dhammas), sans observateur, sans objet de perception, sans concept de perception. C'est "je vois une pomme", sans "je", sans "voir", sans "pomme", pourtant le phénomène a lieu. C'est une approche le la libération de la souffrance Nibbana (nirvana en sankrit) qui est l'au-delà même de tous concepts. Comme le dit le mantra du Sutra du cœur de la sagesse "gate, gate, paragate, parasamgate, bodhi svaha", "aller, aller au-delà, aller au-delà de l'au-delà, que l'éveil s'accomplisse".
En quoi alors consiste Vipassana bhavana? Une fois l'esprit posé dans Samatha avec support, puis sans support, que se passe-t-il ? Samatha a permis de concentrer ou de focaliser l'esprit sur un objet ou sur tout "objet-phénomène" tel que bruit, sensation, odeur, perception… Vipassana bhavana fait passer l'esprit en état d'observateur, en état de présence. Il ne s'agit plus d'être "concentré sur" mais "présent à", de ne plus être "agissant" mais "étant". Je ne suis plus dans l'acte de méditer, je suis en état de méditant. La différence est subtile. C'est assez proche du non-agir taoïste.
Voir ou ne pas voir ? Et quoi ?
La vision pénétrante consiste à voir les "objets-phénomènes" (dhammas) tels qu'ils sont, avec les trois caractéristiques inhérentes à tous les éléments conditionnés, donc appartenant au samsara. Ces trois caractéristiques sont anicca, anatta et dukkha en pali, l'impermanence, le non-soi et dukkha, mot traduit très ordinairement par souffrance. Dans Vipassana bhavana, l'observation des phénomènes vus d'un observateur neutre, non jugeant permet d'approcher la vraie nature des choses.
ANICCA, l'IMPERMANENCE
Il est assez aisé de comprendre que tous les phénomènes naissent, atteignent leur apogée et déclinent pour disparaître. Mais il faut ajouter pour une compréhension plus juste d'anicca, le fait que tous les phénomènes changent en permanence. C'est l'image de la personne qui ne peut pas se baigner deux fois dans la même rivière. L'eau coule, le baigneur vieillit de seconde en seconde, la température, le vent, la qualité de l'air, la luminosité évoluent sans cesse.
Anicca introduit la notion d'atemporalité. Seul l'instant présent est perceptible sans concept. Passé et futur ne sont que des concepts. Vipassana permet de réaliser qu'il y a un "présent du passé" et un "présent du futur", mais pas de temporalité. La mémoire permet de créer un concept de temps à partir des concepts de passé et de futur. La mémoire permet de maintenir le concept d'ego, d'un "je" qui se prolonge dans le temps. Or, s'il n'y a pas de temporalité, rien ni personne me meurt, puisque rien n'est permanent, et surtout pas l'ego, le "je". La libération, le nibbana est donc bien au-delà des concepts. Question intéressante en forme de koan zen : en combien de temps s'atteint le nibbana ?
ANATTA, LE NON-SOI
C'est une notion plus complexe, un concept qui s'en approche est l'interdépendance des phénomènes. Rien ne peut exister qu'en contingence temporelle et spatiale d'autres phénomènes. Tout n'existe qu'en tant que conséquence d'autre chose et ensuite ce qui est va générer un autre phénomène. Tout événement quel que soit sa nature est conditionné et n'est que le résultat d'une suite de causes et conséquences, ainsi que des conditions de l'instant présent. Rien n'existe par soi-même et rien n'est en indépendance totale.
DUKKHA
Traduit en général par souffrance, cette notion va de la simple gêne ("mon thé n'est pas assez chaud") à la souffrance (la mort d'un être aimé). Dukkha n'est pas la douleur, c'est la souffrance ajoutée à la douleur. Comme dit à peu près le Bouddha "Si le destin vous plante une 1ère flèche, ne vous en plantez pas une 2ème vous-même". La douleur du marteau sur le pied est un phénomène indépendant de la volonté et inéluctable. Le fait d'en vouloir au monde entier et dire "ça n'arrive qu'à moi" est la souffrance surajoutée.
Par ailleurs anicca, le fait que les phénomènes soient impermanents, génère dukkha. Dans vipassana, on préférerait que les états confortables, les joies, les extases ne cessent pas. Mais quand ils s'arrêtent, on génère dukkha en raison de l'attachement à ce "plaisir". Plaisir et souffrance sont les côtés pile et face d'une même pièce qui est dukkha. Dans vipassana, en tant qu'observateur, on arrive à percevoir cet attachement à un phénomène transitoire et à la souffrance que l'ego génère. La tradition theravada entre autres cite trois causes principales de dukkha, les poisons: le désir (envie, avidité…), l'aversion (le rejet, la fuite…) et l'ignorance ou illusion (qui n'est pas le manque de connaissance, mais le fait de ne pas voir les choses telles qu'elles sont mais à travers les concepts). Dans vipassana, on constate cela sans jugement, comme un fait, une réalité.
Dans vipassana, toutes les expériences ont la même valeur que ce soit la joie, la douleur, la tristesse, la somnolence… ce n'est pas l'expérience qui compte, mais le rapport à l'expérience. Ce n'est pas ce qui est vécu, mais comment cela est vécu.
Démons et merveilles : empêchements
et facteurs d’éveil
LES 5 NIVARANA
La tradition theravada liste 5 Nivarana ou empêchements à la pratique de vipassana :
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le désir sensuel : à comprendre comme le souhait de satisfaire et amener du plaisir via les 6 sens du bouddhisme (le mental avec les pensées étant celui rajouté aux 5 habituels). Cela va de "je vais déplacer un petit peu le genou pour plus de confort" en méditation assise ou "je mangerai bien une glace par cette chaleur" ou "j'aimerai bien une douce odeur d'encens" jusqu'à "vivement le câlin de ce soir",
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la colère et toute forme d'agressivité,
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l'agitation : le mental qui tourne à 100 à l'heure, qui zappe sans arrêt d'une idée à une autre, le fait de se laisser entraîner loin dans une histoire qu'on se raconte ou un film qu'on se fait,
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la torpeur : l'endormissement, une sorte de léthargie,
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le doute : "qu'est-ce que je fais là ?", "à quoi ça sert de toutes façons ?"
LES 7 BOJJHANGA
Quand ces cinq empêchements s'estompent ou disparaissent, les sept bojjhanga ou facteurs d'éveil peuvent apparaître et la tradition theravada dit qu'ils sont à développer :
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Sati l'attention : à tout ce qui est présent, par exemple c'est sati qui permet de "repérer" un des 5 empêchements,
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Dhamma vicaya l'investigation des phénomènes : la curiosité, étant attentif, on investigue, on observe,
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Viriya l'énergie ou effort : l'attitude fournie par sati et dhamma vicaya donne envie d'aller plus loin et stimule l'énergie intérieure,
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Piti la joie : il en découle ensuite un état de joie qui va de paisible aux grandes extases et aux béatitudes,
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Passadhi le calme : après la joie, vient un grand calme qui peut lui-même être extatique,
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Samadhi parfois traduit par concentration : fixation, centrage, unification de l'esprit qui ne se disperse plus,
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Upekkha l'équanimité : toutes les expériences ont la même valeur quelle que soit leur nature.
On comprend facilement que chaque facteur d'éveil doit être dosé pour ne pas rester "collé" dans une extase liée à trop de joie, ni avoir trop d'énergie (qui deviendrait de l'agitation) ou de calme (qui deviendrait de la torpeur). C'est sati, l'attention, le 1er facteur qui aide à équilibrer les autres. Ils s'équilibrent 2 à 2 en fait : joie – calme, énergie - samadhi, curiosité – équanimité
Et plus loin
L'équanimité (Upekkha) est aussi le 4ème des "incommensurables" (Brahmavihara ou demeures de Brahma, demeures sublimes, ou aussi les 4 "illimités") :
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Le 1er est Metta la bienveillance : c'est souhaiter du bonheur, la paix et la joie à soi-même et aux autres,
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Le 2ème apparaît quand la bienveillance rencontre la douleur, elle devient Karuna la compassion,
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La 3ème apparaît quand la bienveillance rencontre la joie, elle devient Mudita la joie empathique, se réjouir de la joie des autres,
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Le 4ème, Upekkha l'équanimité englobe les 3 autres et c'est vraiment là que toutes les expériences ont la même valeur.
Ils sont incommensurables car s'appliquent à tous, n'importe où, n'importe quand et sans limites. Nul besoin d'être un sage ou un éveillé pour les pratiquer. Ils se manifestent naturellement quand les obstacles disparaissent.
Quand il n'y a "rien" pour perturber l'esprit, un des 4 "illimités" prend naturellement la place laissée vacante sans qu'on ait à le chercher.
Au bout du compte et encore en forme de koan : s'il n'y a plus d'observateur, plus de perception, ni d'objet perçu… mais alors qui ou quoi en fait l'expérience ?
LES 5 KHANDHA
Une partie de la réponse : l'enseignement theravada dit que nous sommes constitués de 5 khandha ou "agrégats" :
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l'agrégat de la forme : le corps, l'aspect solide…
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l'agrégat des ressentis : agréables, désagréables, ni agréables – ni désagréables
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l'agrégat des perceptions - sensations : les 5 sens et ce qui en découle en résumé très bref
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l'agrégat des formations mentales, toutes les pensées et émotions qui découlent du fait que l'on a ressenti et perçu
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l'agrégat de la conscience : une conscience unique qui varie en fonction du sens qui est mis en jeu parmi les 6, conscience auditive, conscience visuelle, etc.
Et derrière ces agrégats : personne, pas de "je", pas d'ego". C'est juste comme un piano dont les notes sont jouées. En appuyant sur une touche, une note résonne, mais le piano n'a pas d'âme.
Mais alors, qui pratique ?
"Je médite depuis plusieurs dizaines d’années. Après avoir connu le zen japonais, j’ai été l’élève de Charles et Patricia Genoud pendant huit ans en suivant de nombreuses retraites avec eux ainsi qu’avec Pascal Auclair. Je fréquente le monastère de Tournon et celui de Birken (Canada). J’ai été deux ans élève de Jeanne Schut. Aujourd'hui, je transmets la pratique de Vipassana et le Dhamma selon la tradition Theravada ."
Francis Lutgen